Jean-Yves Cotté
traducteur
directeur de la collection Domaine étranger aux Éditions du 38
Figures désimposées
de la mélodie des mots, des images...
Ce site est une présentation de mon travail. Toutes les traductions, publiées ou non, ne sauraient être reprises, même partiellement, sans mon accord.

Stonewall - Recueil Collectif : un projet littéraire au profit de l’association Urgence Homophobie.
Quentin Westrich, l'initiateur du projet, a eu l’idée d’un recueil de textes collectif en faveur de l’association Urgence Homophobie. Son but ? Réunir un maximum d’auteurs et d’artistes de tous horizons pour offrir au public un livre de qualité tout en soutenant une cause qui lui est chère.
Il a ensuite été rejoint par Laurence Cambin, à la tête du comité de lecture des textes. Tous deux travaillent désormais à titre bénévole aux côtés d’Urgence Homophobie pour le lancement de ce nouveau projet artistique par l’association.
Toutes les informations sur : https://jtrtablink.wixsite.com/stonewallrecueil
Dans le cadre de ce projet, voici les poèmes qu'avec l'accord de leurs auteurs j'ai proposés et traduits à titre bénévole, ainsi que la traduction du texte écrit spécialement par l'immense Martha Shelley et un extrait du témoignage de Norman Casiano, survivant de l'attentat d'Orlando du 12 juin 2016.
Photo : Matt Bialer

L'écharde sous la peau
La façon dont nous faisons l’amour, dont nous nous imprégnions et fusionnions dans l’obscurité
Je ne retrouverai jamais cela
Tourner la page n’est qu’un moyen de m’en sortir
Sans toi
Je n’ai jamais connu de corps-à-corps
Semblables aux nôtres
Sur un matelas à même le sol
Dans mon premier appartement
Le soleil tapant au-dehors
Puis la nuit, après le travail
Tu débarquais chez moi avec du vin
Et nous nous réfugions sur le matelas
Je n’ai jamais goûté à la confiance
Jusqu’à ton vin
Je n’ai jamais dansé jusqu’à ce que tu me guides
Je ne suis pas grand mais tu m’as donné l’impression d’être un géant
Comme je me mouvais en toi
À présent il y a un manque
Un trou qui se creuse du fait de ton absence
Qui s’était trop habitué au luxe
Qui bée désormais comme jamais
Car tu as trouvé un nouveau matelas
Une nouvelle nuit pour t’abandonner
Un nouveau vide à remplir pour un temps
Jusqu’à ce que dans ton dos un ressort ne t’importune
Alors tu reprendras ta quête
Chris Kelso
2 poèmes extraits du recueil Minivan Poems, de Justin Grimbol
Mon Minivan a un cœur
Et ce cœur
Fleure les aisselles imprégnées de sueur
Et ces
Femmes hippies qui
maîtrisaient l'art de rire
Et de lever les yeux ciel
*
Mon Minivan
Entend de sexy saxophones
Dans les vieux ponts
Les fermes en ruines
Les fesses des lucioles
Les chemins de terre
Et les devantures fermées

Les émeutes qui changèrent ma vie
Martha Shelley
Voilà ce qu’étaient nos vies avant Stonewall :
Ma mère proposa d’affecter l’argent qu’elle avait économisé pour mon mariage à une psychothérapie pour me soigner. Elle proposa également de me payer une rhinoplastie, convaincue que j’aurais l’air moins juif et que les garçons me trouveraient plus séduisante, pour que je sois heureuse de devenir hétéro. La mère de Judy L refusa de continuer à payer ses études à moins qu’elle ne se refasse faire le nez. Judy accepta de se faire opérer. Elle n’en devint pas plus hétéro pour autant.
[...]
Et puis, le 28 juin 1969, ont éclaté les émeutes de Stonewall.
Je suis passée devant le Stonewall Inn ce soir-là et j’ai présumé qu’il s’agissait d’une manifestation contre la guerre, une de plus. J’ignorais que les émeutiers étaient gays jusqu’à ce que j’ouvre le journal le lendemain matin. J’ai aussitôt téléphoné à la responsable des Daughters of Bilitis. « Il faut organiser une marche de protestation », lui ai-je dit. Elle m’a demandé d’appeler le responsable de l’association gay Mattachine Society[2], et de le lui proposer. « S’ils sont d’accord, nous la parrainerons conjointement. »
[...]
Aujourd’hui, cher lecteur, chère lectrice, les droits des homosexuels sont de nouveau menacés, de même que ceux des femmes en matière de procréation. Le gouvernement verse de l’huile sur le feu du racisme et de la haine religieuse. Les États-Unis continuent d’envahir des pays qui ne nous ont rien fait, tuant des millions de civils. Nous assistons à l’augmentation immodérée des inégalités économiques, et le réchauffement climatique détruit la planète. La lutte pour la justice est loin d’être terminée, et je n’ai pas dit mon dernier mot. Chacun d’entre nous a un rôle à jouer. Quel sera le vôtre ?

[...]
1 h 55 environ : J’entends résonner deux « pan » et, même si la musique est forte, je sais que ce n’est pas normal. Mary et moi on se regarde et je lui dis que c’est sans aucun doute des coups de feu. C’est alors qu’on entend ce que le FBI a identifié comme étant un Sig Sauer MCX. À cet instant je comprends qu’il se passe quelque chose de grave. J’attrape aussitôt Mary et je la fais se cacher sous le bar. Des gens arrivent en courant de la grande salle, ils crient et des coups de feu résonnent mêlés à la musique. Je suis incapable de réfléchir, je suis incapable de comprendre ce qui est en train d’arriver. On s’efforce de s’échapper de notre cachette en rampant sans se faire piétiner, mais il y a trop de monde. Je dois réfléchir et je dois réfléchir vite car les tirs se rapprochent. Je prends mon élan sans lâcher la main de Mary et on réussit à se frayer un passage jusqu’aux toilettes des hommes sans se relever. Des cris résonnent tandis que les coups de feu se rapprochent. On parvient à forcer le passage jusqu’à la cabine pour handicapés où se sont réfugiés plein de gens terrifiés. Tout autour de moi les visages apeurés et paniqués ne font qu’annoncer le chaos à venir. Mary s’élance dans la cabine et atterrit sur les gens qui y sont entassés, se retrouvant à découvert. Je regarde fixement la porte de la cabine en pensant que ma dernière heure a sonné. Les coups de feu se sont encore rapprochés et je n’entends plus que les hurlements de gens que j’aime, d’amis proches qui se font tirer dessus par un inconnu armé. Je me mets à prier, attendant que le tueur se fraie un passage jusqu’à notre cachette. Deux coups de feu éclatent et quelqu’un entre en courant puis s’effondre à bout de souffle sur le sol des toilettes, suppliant qu’on l’aide. J’attrape sa main et j’essaie de le tirer dans ce que je pense être un abri sûr. Il me regarde dans les yeux et m’implore : « Pitié, je ne veux pas mourir. » Je le regarde dans les yeux et je lui promets que tout va bien se passer – des paroles qui me hanteront le restant de mes jours… À cet instant le tueur fait irruption dans les toilettes, lui tire dans le dos et, secoué d’un rire démoniaque, s’assure qu’il est bien mort. Pas un mot, rien qu’un rire. Malgré tous mes efforts je n’ai pas pu cacher le garçon et il est mort en me tenant la main. Une culpabilité qui ne me quitte jamais. Je sens une vive douleur dans le pied droit et je constate aussitôt que la balle qui a tué ce pauvre garçon a traversé ma chaussure et mon pied. [...]
Norman Casiano